Les syndromes du voyageur

Un lieu peut-il nous rendre fou? Les syndromes du voyageur

Le 2 août 2009, une touriste d’origine russe jette une tasse de thé sur La Joconde. Protégé par une vitre blindée, le tableau n’a pas été endommagé. La jeune femme, « qui ne jouissait pas, selon la préfecture de police de Paris, de toutes ses facultés mentales », a été transférée à l’infirmerie psychiatrique de la préfecture. La presse a évoqué le syndrome de Stendhal, une affection psychiatrique qui frappe les touristes submergés d’émotion par la beauté des œuvres d’art. Il s’agit d’un des quatre syndromes qui touchent les voyageurs visitant des endroits précis dans le monde.

Le syndrome de Stendhal (ou de Florence)

Ce syndrome est appelé ainsi en référence à l’expérience vécue par l’écrivain français Stendhal lors de son voyage en Italie, à l’étape de Florence, en 1817. Devant la profusion d’art. il a ressenti ce malaise où il était à la fois épris et malade.

J’étais arrivé à ce point d’émotion où se rencontrent les sensations célestes données par les Beaux Arts et les sentiments passionnés. En sortant de Santa Croce, j’avais un battement de cœur, la vie était épuisée chez moi, je marchais avec la crainte de tomber.
Stendhal
Stendhal
Écrivain Français

Afin de se remettre de son trouble, Stendhal s’assit sur un banc de la place, et lut un poème. Mal lui en pris, puisque la poésie s’additionnait à l’ambiance culturelle des lieux et ses visions empiraient. 

Le syndrome de Stendhal, également appelé « syndrome de Florence », est une maladie psychosomatique déclenchée le plus souvent lors de la visite de l’un des 50 musées de la ville de Florence, berceau de la Renaissance italienne. Le visiteur est subitement saisi par le sens profond que l’artiste a donné à son œuvre, et perçoit l’émotion qui s’en dégage d’une façon exceptionnellement vive qui transcende les images et le sujet de la peinture. Les réactions des victimes subjuguées sont très variables : crise d’hystérie, perte du sentiment d’identité, suffocation et hallucinations. 

Les gardiens de musée, à Florence, sont formés pour intervenir auprès de visiteurs victimes du syndrome, puisque certaines touristes ressentent l’urgence de détruire un tableau. À leurs yeux, le regard d’un autre peut mettre en danger leur propre perception de l’œuvre. En général, les patients se rétablissent en quittant la ville.

Ma propre mère a vécu un épisode de syndrome de Stendhal, et elle a accepté d’écrire un témoignage pour mes lecteurs, ce dont je suis vraiment reconnaissante car il est difficile de trouver une « victime » qui accepte de témoigner:

"Il y a une trentaine d’années, j’étais en voyage, en Europe, avec mon époux et un couple d’amis. Comme dans toutes les villes importantes, nous visitions, cet après-midi-là, un musée célèbre. Je ne me souviens ni du nom du musée, ni du nom de la ville. Mais ce qui est resté imprégné dans ma mémoire, ce sont les moments d’angoisse que j’y ai vécus. Avec les autres, j’admirais les nombreuses peintures exposées, lorsque soudain mon regard fut attiré vers une scène qui, instantanément, me jeta dans une peur terrible. Mon cœur se mit à battre à un rythme effréné, mon front se couvrit de sueurs et une immense détresse m’envahit tout entière. Je n’avais jamais ressenti une telle peur. Qu’est-ce qui m’arrivait? Instantanément, sans réfléchir, je m’enfuis à toutes jambes vers l’extérieur, par la première sortie. Je pris de grandes bouffées d’air, en attendant que les autres me rejoignent et en essayant de chasser de ma mémoire cette scène, qui me terrifiait encore, sans que je comprenne pourquoi. Je me calmai peu à peu, mais sous aucun prétexte, je ne serais retournée dans ce musée."
Danielle Boivin

Le Dr. Marie-Jeanne Guedj, psychiatre à l’hôpital Sainte-Anne à Paris, a posé une fois ce diagnostic. Il s’agissait d’une lycéenne française partie avec sa classe en voyage scolaire à Florence. « Elle avait peur de ne pas être à la hauteur des oeuvres d’art, se souvient-elle. Elle a déclenché un état d’excitation. Elle était survoltée, incapable de dormir. » A son retour en France, la crise a cessé.

La psychiatre italienne Graziella Magherini, officiant à l’hôpital central de Florence, a observé et décrit plus de 100 cas similaires parmi les touristes. Sa description figure dans un livre éponyme qui classe les cas de manière statistique selon leur provenance et leur sociologie. En résumé :

  • les touristes provenant d’Amérique du Nord et d’Asie n’en sont pas touchés, il ne s’agit pas de leur culture ;
  • les touristes nationaux italiens en sont également immunisés ; ils baignent dans cette atmosphère depuis leur enfance ;
  • parmi les autres, sont plus touchées les personnes vivant seules et ayant eu une éducation classique ou religieuse, indifféremment de leur sexe.

Le Syndrome de Paris

tour eiffel
Source de l'image: Reddit

Le syndrome de Paris est un trouble psychologique touchant certaines personnes en visite à Paris, et plus particulièrement les touristes japonais. Il est le résultat d’un choc culturel, l’individu découvrant que le Paris réel n’est pas du tout le Paris idéalisé auquel il s’était attendu, comme par exemple le Montparnasse des Années folles ou l’univers d’Amélie Poulain. L’individu se retrouve incapable de concilier ses attentes avec la réalité.

L’image d’un Paris idéalisé est particulièrement populaire au Japon, ce qui explique probablement pourquoi un plus grand nombre de Japonais sont victimes du syndrome.

Le syndrome se manifeste par des états de désillusion aigus, des hallucinations, des idées de persécution, une forte anxiété et des manifestations psychosomatiques comme la tachycardie, les vertiges et les vomissements.

« J’ai rencontré plusieurs patients dans ce cas, témoigne le docteur Marie-Jeanne Guedj, psychiatre à l’hôpital Sainte-Anne à Paris. C’est un syndrome qui met du temps à s’installer. Les gens s’isolent, s’enferment dans leur chambre d’hôtel ou dans leur appartement. »

Le Syndrome de Jérusalem

Un touriste nord-américain âgé d’une quarantaine d’années, est convaincu qu’il est Samson et qu’il a une mission à accomplir. En parvenant au Mur des Lamentations, il essaie de déplacer une des pierres car, selon lui, le mur n’est pas à la bonne place. Ses actions déclenchent un émoi épouvantable, nécessitant l’intervention de la police, et il est placé à l’hôpital psychiatrique de Kfar Shaul.

Une enseignante irlandaise se rend à l’hôpital de Jérusalem pour son accouchement. Elle proclame qu’elle est sur le point de donner naissance au bébé Jésus, mais en fait, elle n’est même pas enceinte. De son côté, un touriste autrichien se met en colère contre le personnel de cuisine de l’hôtel où il réside, lorsque ceux-ci refusent de lui préparer le repas de la Dernière Cène.

Chaque année, une quarantaine de personnes environ sont hospitalisées à l’hôpital de Kfar Shaul, victimes du syndrome de Jérusalem. Ce syndrome touche les touristes et se rapporte au sens religieux. Les individus s’identifient fortement à des personnages de l’Ancien ou du Nouveau Testament, ou sont convaincus qu’ils sont eux-mêmes un de ces personnages. Leur conviction atteint des dimensions psychotiques.

Les principaux symptômes sont les suivants :

  • Anxiété, inquiétude, et agitation,
  • Le désir de se détacher du groupe ou de la famille et de visiter Jérusalem seul,
  • Le besoin d’être propre et pur : obsession avec prise de bains et douches; taille compulsive des ongles de mains et de pieds,
  • La préparation, souvent à l’aide des draps de lit d’hôtel, d’une robe ressemblant à une toge, descendant jusqu’à la cheville et qui est toujours blanche,
  • Le besoin de crier, de hurler ou de chanter à haute voix des psaumes, des versets de la Bible, des hymnes religieux ou du Gospel,
  • Une procession ou une marche vers un des Lieux saints de Jérusalem,
  • La déclamation d’un ‘sermon’ dans un Lieu saint. Le sermon est d’habitude très confus et fondé sur un appel peu réaliste à l’humanité d’adopter un mode de vie plus sain, moral et simple.

Le docteur Yair Bar El attribue ces crises à la déception. Des pèlerins rêvent pendant des années à cette visite en Terre Sainte, mais la grande richesse archéologique de Jérusalem reflète surtout les périodes turque, croisée et byzantine sans aucune trace de l’ère pré-chrétienne et la plupart des sanctuaires chrétiens ont été soumis à la destruction ou à la transformation au cours de leur histoire mouvementée. Comme la réalité n’est pas à la hauteur de leurs fantasmes, les pèlerins deviennent frustrés et se réfugient dans le délire.

Composition confessionnelle des victimes de ce syndrome :
– 66 % de confession juive,
– 33 % de chrétiens (pour la plupart protestants)
– 1 % sans religion

Le Syndrome de l'Inde

Lors d’un périple de dix jours en Inde avec une association humanitaire, une jeune fille se met à courir dans les rues pour embrasser les vaches sacrées. Une autre touriste, elle, passe près de se noyer en voulant rejoindre à la nage ses parents en France.

Le syndrome de l’Inde frappe les Occidentaux. Dans ce pays mythique, le choc culturel est tel que certains perdent pied. Régis Airault, psychiatre, a été en poste au consulat de Bombay pendant quelques années. Il explique que dans ce pays, les repères des occidentaux n’ont plus cours. La foule, le bruit, les odeurs, la pauvreté, les excès du climat (mousson, chaleur…), l’omniprésence de la mort et du mysticisme provoquent, dans le meilleur des cas, une folle envie de fuir, mais peuvent également engendrer un délire paranoïaque de persécution, un vacillement de la personnalité, ou un sentiment océanique. (l’impression de se ressentir en unité avec l’univers)

Normalement, ces symptômes cessent lorsque les personnes touchées rentrent chez elles.

Références

  1. Syndrome de Stendhal, Wikipedia
  2. Syndrome du voyageur, Wikipedia
  3. Syndrome de Paris, Wikipedia
  4. Ces syndromes qui frappent les touristes étrangers, Le Monde
  5. Stendhal.- Rome, Naples et Florence, éditions Delaunay, Paris – 1826, tome II, p. 102
  6. Airault, Régis.- Fous de l’Inde (Payot, 2000, 226 p.)
  7. Le syndrome de Jérusalem, villemagne.net
  8. Paris Syndrome, Wikipedia
  9. Jerusalem Syndrome: the madness that grips foreigners on the streets of the holy city, The Telegraph

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